Contrairement aux idées reçues, la vie sexuelle et le désir de l’autre ne s’arrêtent pas à un certain âge. À condition de savoir s’adapter aux évolutions du corps et de l’esprit, les relations intimes sont bénéfiques à la santé physique et psychique des seniors. Entretien avec le docteur Céline Candillier, psychiatre et médecin sexologue.
Comment les seniors vivent-ils leur sexualité au fur et à mesure que les années défilent ?
Il est important qu’ils comprennent que la sexualité évolue avec l’âge. Ils doivent en tenir compte dans leurs pratiques sexuelles. Beaucoup de seniors viennent en consultation pensant qu’ils ont une pathologie, mais c’est simplement une adaptation à des modifications physiologiques et psychologiques liées à l’âge, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
Ainsi il est tout à fait normal qu’avec l’âge, des troubles érectiles puissent survenir plus fréquemment. Chez les femmes, les parois vaginales perdent de leur souplesse et s’amincissent, et cela s’accompagne souvent d’une sécheresse pouvant être source d’irritations et de douleurs.
Si les séniors avaient accès à l’éducation sexuelle sur le vieillissement et ses conséquences, ils pourraient différencier ce qui est normal de ce qui peut être pathologique. Ils seraient plus détendus et épanouis dans leur sexualité. En revanche, certains font le choix de ne plus avoir de vie sexuelle et cette décision est respectable. Il n’y a pas de normalité.
Quels conseils donneriez-vous pour garder une sexualité épanouie ?
C.C.: La relation sexuelle doit davantage être perçue comme une relation intime, un rapprochement, que comme une performance physique. Autrement dit, elle n’est pas obligatoirement synonyme de pénétration, mais plutôt d’intimité partagée et de complicité. Cette dernière est très importante. Il est également primordial de prendre son temps, de communiquer avec son ou sa partenaire. Ce qui était évident à 20 ans en termes de pratique ne l’est pas à 60 ans.
Par ailleurs, la perte d’élasticité de la peau qui survient avec l’âge diminue la sensibilité aux stimulations. Avec le temps, le corps demande donc plus de temps pour être excité et cela passe par des caresses, des massages plus longs.
Je recommande aussi d’adapter sa vie sexuelle à son âge : par exemple, le couple peut privilégier les rapports intimes la journée plutôt que le soir, puisqu’il aura plus de temps la journée. Il existe des positions qui sont préconisées si l’érection ne tient pas bien. Chez la femme, l’utilisation de lubrifiant est conseillée afin de rendre le rapport plus agréable. Cette étape préliminaire peut d’ailleurs devenir un jeu intime entre les partenaires.
Quels sont les bénéfices pour les personnes âgées de continuer à faire l’amour ?
C.C.: La sexualité est un indicateur de bonne santé physique et psychique. Elle donne une opportunité d’exprimer de l’affection, de la passion pour une personne. Elle permet d’affirmer que son corps fonctionne et qu’il peut donner du plaisir, ce qui a un impact positif sur le sentiment d’estime de soi. Elle protège des troubles cognitifs tels qu’Alzheimer grâce aux hormones qui sont libérées pendant l’amour. La proximité sexuelle influe positivement sur l’humeur des gens et leur bien-être.
Contrairement aux idées reçues, les seniors peuvent atteindre l’orgasme et les femmes peuvent même l’atteindre plusieurs fois. Des études montrent que chez la femme, l’orgasme à 60 ans est de meilleure qualité que celui à 40 ans. Car c’est en se connaissant mieux et en acceptant son corps qu’on améliore les sensations.
Pour quelles raisons la sexualité de nos aînés reste encore un sujet tabou ?
C.C.: Les causes sont multiples : religieuses, culturelles, historiques. Mais j’insisterai sur le regard que notre société porte sur les corps vieillissants. L’âgisme est la discrimination la plus répandue actuellement, la seule qui ne soit pas réprimée. L’idéalisation des corps jeunes et parfaits rend la sexualité taboue chez les personnes âgées. Une stigmatisation encore plus prégnante pour les femmes. Chez l’homme, c’est le culte de la performance à tout prix qui peut mettre une pression démesurée. Un travail d’acceptation, de lâcher prise est nécessaire.
Beaucoup pensent que les seniors n’ont plus de désir ou de plaisirs corporels. Nous devons collectivement lever ce tabou car certains seniors font d’eux-mêmes une croix sur leur sexualité à cause de l’influence normative de la société. Autre frein, ils ne savent pas à qui et où parler de sexualité.
Comment sont appréhendées les questions de la sexualité dans les Ehpad ?
C.C.: Il est difficile d’aborder ces questions intimes en groupe, de simplement demander à être orienté vers des personnes compétentes. J’ai récemment mené des entretiens dans deux maisons de retraite. Les résidents ont exprimé le souhait d’avoir davantage d’informations sur la sexualité des seniors, ou de disposer, par exemple, de lubrifiants pour faciliter les relations intimes. Ce sont alors les membres de la famille des résidents qui se sont opposés à ces demandes pourtant tout à fait légitimes.
Cette anecdote témoigne d’un profond travail à effectuer auprès des aidants et des professionnels pour qu’ils acceptent que les personnes âgées aient aussi le droit de s’aimer, d’avoir des relations sexuelles. Il faut dédramatiser le désir sexuel chez les aînés en Ehpad. Que diriez-vous si on vous interdisait d’avoir une vie intime et affective dans votre domicile ?
La solution passe par une meilleure information, une éducation à la sexualité des seniors et des aidants, professionnels ou non. C’est dans cet esprit que je participe au lancement, en décembre prochain, de « Always Valentine ». Cette plateforme en ligne de sexogérontologie sera destinée au bien-être et à l’intimité des seniors, avec des vidéos d’experts, des articles, etc.
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